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  • 20230223 - Et c'est tout ?

    « Et alors, c’est tout ? » me demande avec insistance la petite voix dans ma tête, le récit s’arrête là ? Ou c’est une répétition de « j’ai fait ma communion, je suis débarrassée de toute obligation ? » Cherche bien au fond de toi-même, Annie… Avoue-toi les choses que tu n’oses pas regarder !

    Aurais-je pu faire fi des signes qui ont jalonné mon chemin ? Non, car tout m’y ramenait sans cesse. J’étais prisonnière d’une autre volonté, une volonté supérieure et pourtant intérieure. Quand le cœur et la tête ne sont pas sur le même diapason… Ma tête disait « pourquoi faire ? » et mon cœur avait besoin de se retrouver.

    Et un jour, ma tête a rendu les armes de ce que je croyais être mon indépendance.

    Ensuite, la question ne s’est plus posée. J’avais décidé de m’engager sur cette voie. Et j’ai commencé à découvrir un univers qui me correspondait et mon cœur a commencé à s’apaiser. Je me souviens encore de cette fois où, ayant écrit au rabbin sur des réflexions que je m’étais faites, je lisais, deux jours après, des écrits similaires dans un livre qu’il m’avait conseillé. Cela m’atteignit en profondeur. Et ainsi vinrent le plaisir et la joie de la découverte.

    Alors oui, je me suis sentie un peu perdue, soudain, après ma confirmation. Oh comme j’aurais aimé, à cette époque-là, habiter plus près de Paris et pouvoir participer de la vie de Copernic ! Soudain, je me sentais bien isolée.

    Le rabbin m’avait conseillé de me rapprocher d’une communauté proche de chez moi.

    Il n’y a pas de synagogue à Arras, je me suis donc rapprochée de celle de Lens. Et j’ai été invitée à assister au son du Shofar et au repas qui suit Yom Hakippurim. Oh comme j’étais stressée ! J’ai failli ne pas y aller. Deux jours auparavant, ma voiture était tombée en panne et je n’avais trouvé personne pour la réparer. J’en informais Sylvain, qui s’occupe de la synagogue de tout son coeur, et il insista. Mon amie Mimi me prêta sa voiture. Bien sûr, oui, j’ai conduit ce jour-là mais on fait comme on peut !

    J’ai failli me tromper de porte et arriver directement dans la synagogue où les rabbins, venus spécialement de Paris, priaient ! Heureusement quelqu’un est arrivé à temps et m’a montré la bonne entrée !

    J’ai, depuis, participé à toutes les fêtes célébrées à la synagogue. J’y vais avec grand plaisir, comme on rejoint un cocon de chaleur humaine.

    Bientôt Pourim ! Sylvain voudrait que nous venions déguisés ! Bon, je vais aller farfouiller dans mes archives vestimentaires !

  • 20230203 - Ma route vers le Judaïsme

    Me voici donc rentrée en France et je retombe entre les griffes de jp. C’est terrible, ce sentiment d’impuissance. Il m’avait coupée de tous mes amis, ne gardant que ceux dont il pouvait faire les siens. Quant à mon père, qui aimait avant tout la paix de l’esprit, il évita toujours soigneusement de me poser des questions qui auraient pu le déranger et ne chercha jamais à se mêler de ma vie. Et j’avais honte de ce que j’étais devenue, trop honte pour leur faire face. Je n’avais plus rien à voir avec la petite fille qu’ils avaient élevée.

    J’avais passé les dernières années à « détricoter » par derrière les plans tordus dans lesquels jp voulait impliquer d’autres personnes bien naïves. Il faut dire qu’il avait du charisme et il savait faire passer ses idées les plus folles en faisant rire autour de lui. Aujourd’hui, on dirait de lui que c’était un sociopathe. Finalement, là, je me trouvais utile. Je sauvais des gens. J’en avais fini par conclure que c’était peut-être ça, ma destinée, l’empêcher de nuire…

    Mais, bien sûr, à l’intérieur, je m’effondrais peu à peu. J’avais fini par céder sur certains points, reculer, puis céder sur d’autres et, à la fin, je ne me reconnaissais plus.

    Et ainsi, un jour, nous sommes partis pour l’Espagne.

    Je sentais bien que je perdais pied, je désespérais de m’en sortir mais je suivais, ne connaissant plus d’autre vie. Et, à l’intérieur de moi, je hurlais pour qu’on vienne me secourir, hurlais de toutes mes forces, de toute mon âme. Et la Vie m’a répondue. Et je me suis retrouvée face au Judaïsme. Bien sûr, maintenant, avec le recul, je sais que le Judaïsme allait apporter beaucoup de réponses à mes questions et allait me transformer jusqu’à ce que je me retrouve. Mais, à ce moment-là…

    Je suis née catholique. Je devais aller à la messe tous les dimanches et prendre des cours de catéchisme jusqu’à ma communion. Mes parents, pas du tout religieux, m’avaient promis que je ferais comme je voulais une fois ma communion faite. Et le dimanche suivant ma communion, on ne me vit pas à l’église, ni ceux d’après. Et bien contente d’être débarrassée de cette corvée.

    Ma grand-mère maternelle me confia un jour que nous étions d’origine juive. Je dis bien d’origine, car, à l’époque, je croyais que si l’on sortait du Judaïsme, on ne pouvait y revenir. Voilà l’idée que j’avais reçue. Aussi, je gardais, bien sûr, cette information dans une petite case de ma mémoire, mais n’y accordais qu’une importance anecdotique. Puisque nous étions sorties du Judaïsme, pourquoi le mentionner ? D’autre part, j’avais croisé des personnes qui, pour attirer l’attention et se donner de l’importance, disaient qu’elles étaient peut-être d’origine juive ; leur attitude m’irritait au plus haut point.

    Aussi, quand je rencontrai cet homme juif, je ne dis rien.

    Je ne connaissais rien au Judaïsme et je croyais qu’il n’y en avait qu’un, l’Orthodoxe, qui me faisait peur, et donc que, soit on était orthodoxe, soit on était sorti de la religion et on n’y accordait plus d’importance. Comme j’avais fait avec le catholicisme. J’avais bien vu qu’entre ce qui était prêché à l’église et ce qui se passait dans la vie courante, il y avait un gouffre, comme deux mondes totalement séparés. Je ne savais pas que c’était tout l’inverse dans le Judaïsme.

    Aussi, puisqu’il s’intéressait à moi « qui n’étais pas juive », c’est que ça n’avait pas d’importance pour lui, non ? Mais, bien sûr, ça en avait.

    Quand j’arrivais à échapper à l’emprise de jp, je n’étais plus qu’une enfant sauvage, agissant à l’instinct, sentiment exacerbé par les années passées à Goa. J’avais besoin de temps pour revenir à la raison. Mais les évènements se précipitaient, allant trop vite pour moi.

    Face au Judaïsme, ce fut le clash. Et cet homme qui avait été attentif, prévenant, attentionné, qui me faisait croire que la promesse de Goa, celle de l’amour, se réalisait, cet homme se transforma en être distant et froid. Et là, je m’effondrais. N’y avait-il donc aucun soutien à attendre de personne ? J’avais tout perdu et par dessus tout, j’avais perdu l’espoir d’une vie plus juste qui m’avait jusque là motivée. J’avais tout perdu, j’étais dévastée, j’aurais dû mourir mais j’étais encore vivante. Alors, il fallait tout reprendre du début, il fallait, malgré ce sentiment de désespoir, se remettre à la tâche, se remettre à vivre. Et les années ont passé, j’ai pris beaucoup de chemins qui ne m’ont menée nulle part et à chaque fois, il me fallait me remettre en question.

    Cet homme, qui avait été un élément charnière dans ma vie, avait disparu de la scène. Et moi qui n’avais jamais été obsessionnelle, je me prenais à être obsédée par son souvenir. Je tentais de le repousser dans mes pensées, il revenait en rêve. Je me demandais pourquoi, et qui il était après tout pour moi, et je rêvais qu’on me disait de regarder derrière moi et je le voyais, tout sourire, comme m’encourageant à avancer.

    Mais où que je regarde, dans la vie réelle, je ne le voyais pas. Et j’ai voulu tirer un grand trait. Et j’ai rencontré Daniel. Daniel Benkovic, juif de père. Et cela, je l’ai appris alors que nous venions de divorcer, 20 ans plus tard. « Si tu ne viens pas au Judaïsme, le Judaïsme viendra à toi », était-ce ça ?

    Après notre séparation, la pensée de B., cet homme juif, revint à la surface et se fit si pressante que j’en étais à envisager d’aller voir une psy. Et alors qu’un jour de Pâque, je le cherchais sans y croire sur internet, je suis enfin tombée sur lui.

    Bon, cette fois-là non plus, ça n’a pas marché du tout entre lui et moi. Une fois de plus, je n’ai rien dit de mes origines juives. Quand on me demandait si j’étais juive, je disais que non. Tout simplement parce que je ne savais pas ce que ça voulait dire qu’être juive et je sentais qu’il y avait là une profondeur que je ne possédais pas.

    Cependant, une de ses relations, Ann, me prit en amitié et nous commençâmes à correspondre. C’était en 2011. Et peu à peu, je me suis mise à changer. Elle a été et reste une amie formidable.

    En 2018, je rencontrai Suzanne, qui me demanda d’être photographe à son mariage. Elle me dit « ne t’inquiètes pas, le rabbin est un rabbin libéral », ce à quoi, les yeux écarquillés, je répondis à nouveau que je n’étais pas juive. Elle insista pourtant pour que je vienne et je crois que c’est à ce moment-là que j’ai parlé de mes origines. Et elle : « mais alors, tu es juive ! ». C’est à cette occasion que je rencontrai le Rabbin Haddad, qui unit religieusement mes deux amis.

    Un an plus tard environ, je sonnais à la porte de la synagogue, rue Copernic.

    Alors que j’attendais pour qu’on m’ouvre, un homme passa, me regarda et cracha un « juive ! » virulent. Voilà, j’étais tout de suite dans le bain… Ça m’a fait sourire et en moi-même, j’ai dit « pas encore, mais bientôt, j’espère », ha ha.

    Cependant, j’habitais Arras et ma pauvreté m’empêchait d’aller à Paris toutes les semaines. Le Rabbin m’envoyait les cours en pdf mais je manquais quand même une grande partie de l’enseignement. Un jour, j’ai voulu y assister même si je n’en avais pas vraiment les moyens et j’ai pris le train. Celui du retour, pour une fois, ne s’arrêtait pas à Arras et je me suis retrouvée à Lille à 23:30, avec comme option l’hôtel ou le taxi. J’ai choisi le taxi, je voulais rentrer chez moi. Je racontais mes malheurs au chauffeur, un monsieur musulman, et il me réconforta, me disant qu’il y avait une raison à tout. Je suis rentrée chez moi et j’ai décidé de ne plus tenter de forcer le destin.

    Quelques mois plus tard, le Covid nous forçait au confinement, les cours se passèrent alors par Zoom, et je pus les suivre dans leur intégralité. Je passai devant le Bet Din et m’immergeaitensuite dans le mikvé en compagnie du rabbin Pauline Bebe. Enfin, quelques mois plus tard, je faisais ma montée à la Torah en présence du rabbin Haddad. Et lors de ce parcours, je me suis peu à peu sentie devenir juive. J’ai continué, bien sûr, en lisant, en réfléchissant, en échangeant avec le rabbin et, peu à peu, je me suis sentie devenir… Moi. En août dernier, je suis retournée à la synagogue, c’est mon petit pèlerinage à moi. Je me suis promise d’y aller tous les ans à la même époque.

  • 20230127 - Mysticisme en Inde

    Et ainsi, un jour, je suis partie en Inde.

    Maintenant, ce que je vais décrire ici est uniquement du ressenti, des instants qui m’ont fortement marquée sans que j’aie particulièrement conscience de leur importance sur le moment. Juste des instants que je n’ai pu oublier et qui, les uns ajustés aux autres, forment une trame qui m’a semblée cohérente, après des années d’analyse.

    Après 3 semaines passées à Goa, le temps de se remettre du décalage horaire, de décompresser du mode de vie européen et de se mettre au rythme de vie goanais, nous sommes partis en expédition, direction le sud de l’Inde, en moto.

    Je me souviens du départ, de cette route sinueuse qui traversait une immensité boisée, de cette pluie de fin de mousson qui nous avait trempés en un instant et de cette chanson idiote qui ne m’a plus quittée de tout le voyage « l’orage a fait tomber sur moi toute la pluie du ciel » (Stone et Charden, je crois ?)

    Direction Hubli, puis Bangalore, Ooty, Mysore…

    Je me souviens d’un petit hôtel, le seul que nous ayons pu trouver ce soir-là, douche et toilettes communes, draps reprisés et la visite d’un cafard gros comme mon pouce, doté d’un restaurant qui ne servait que le thali… et le patron qui, à la fermeture, nous invite à rentrer les motos dans le restaurant afin qu’elles soient à l’abri.

    Un hôtel où nous avons la surprise de trouver au matin nos motos nettoyées et rutilantes. Il faut dire qu’elles en avaient bien besoin !

    Patrick, le frère de JP, avait décidé de prendre un raccourci. Très vite, la route s’était transformée en chemin de terre passablement détrempé par la queue de mousson. Et, bien sûr, le soir tombe. Je finis par caler dans une flaque et je m’aperçois que la pédale de kick a fini sa carrière quelquepart derrière moi. Après de nombreuses tentatives, on finit, avec JP et son passager qui faisaient office de moto-balai, par la redémarrer. Les deux motos de tête ne nous ont pas attendus, mais bon, tout va bien, on va en voir le bout, de ce chemin… Après tout, on avait évité un char à buffles non éclairé, on avait dérapé souvent mais sans tomber, sûrement, c’était bon, là, non ? Et bien non. Deux gros phares qui arrivent en face. Quoi ? Un bus sur ce chemin bordé de rizières en contrebas ? Il n’y a pas la place pour tous les deux. Je sais que le bus ne s’arrêtera pas. Je n’y vois rien, mon phare éclaire mal, je dois me jeter sur le côté avec la moto, sans savoir si je ne vais pas tomber dans une rizière. A Dieu va. Il y a une petite sente, assez pour les pneus de la moto, je croise le bus, je reviens sur le chemin, je suis passée, derrière, JP a suivi. Mon cœur a chanté la vie jusqu’à l’arrivée à l’hôtel. Et donc, le lendemain, nos motos, qui faisaient tache dans la jolie cour pimpante de l’hôtel, avaient été nettoyées.

    Et puis, Mysore, la capitale de la soie. Ce soir là, nous nous permettrons une nuit au Lalit Mahal Palace, l’ancien palais d’été des Maharadjas de Mysore, transformé en hôtel, à quelques kilomètres de la ville.

    Dans cette même direction se trouve Chamundi Hill.

    Il est dit qu’une déesse occupe le somment de cette colline, une déesse si puissante que l’Hindouisme fut contraint de l’intégrer dans son panthéon. Cela, je l’ai lu bien plus tard, comme j’ai lu, encore plus tard, qu’il était habituel, dans les temps anciens, de vénérer des dieux ou des déesses qui résidaient au sommet de collines. Je ne pouvais donc croire en quelquechose que j’ignorais.

    JP décida d’aller visiter le temple à son sommet le soir même.

    Je me souviens de ce plaisir que j’éprouvais, la douceur de la nuit après une journée chaude, les effluves de la terre, la majesté des plantes qui bordaient la route grimpant jusqu’au temple et même le ronronnement puissant et rassurant de la Royal Enfield de JP… n’avoir pas assez de ses cinq sens pour tout absorber. Et puis… la joie d’avoir échappé au moule que l’on veut nous imposer. J’étais libre, sillonnant les routes du sud de l’Inde, en accord avec moi-même. Je me sentais vivante, oh si vivante !

    Je sais comment j’étais à l’époque et je ne me préoccupais pas de pensées dérangeantes.

    Aussi, celle qui s’insinua en moi me prit par surprise. Qu’est qui manquait à mon bonheur ? Quoi ? Comment ? Mais, n’étais-je pas parfaitement heureuse, à ce moment-là, à cet endroit-là ? Mais mon cœur soupira. Si seulement j’étais avec quelqu’un que je pouvais aimer… alors oui, j’aurais connu le Nirvâna à ce moment-là. JP était bien trop infantile pour être celui-là. Le moment passa. Nous arrivâmes au temple, un prêtre était devant l’entrée, « semblant nous attendre » remarqua JP, qui, d’une façon biaisée, était un mystique. Bien sûr, qu’il nous attendait, avec le bruit de la moto sur cette petite route déserte à cette heure, on nous entendait arriver de loin. Voilà, moi, ce que je pensais, je crois que dans le mysticisme comme dans tout, il faut savoir rester rationnel, non ?

    Voilà, rien de plus, à part cette forte impression qu’il y avait eu en moi une pensée extérieure à moi.

    Le périple se poursuivit, retour par la côte jusqu’à Goa. Et la vie continua. Et les années passèrent.

    Je menais une vie très sage à Goa, de par la jalousie maladive de JP. Mais finalement, cela me convenait. J’aimais me lever tôt, prendre la moto pour aller chercher le petit déjeuner, admirer le soleil se lever sur les rizières et la brume s’étirer paresseusement avant de disparaître sous ses rayons. Les buffles que l’on conduisait aux champs, les charrettes, les écolières en uniforme, et le sugar cane juice agrémenté de lime et de gingembre que je buvais à la petite cahute du coin, parce que « c’est bon pour la santé ».

    Et tout cela baignait dans la lumière dorée du petit matin.

    Quelques années plus tard donc, la saison est bien avancée, Goa commence à se vider. JP part avant moi, je l’accompagne à Bombay (oui, c’est encore Bombay à l’époque) puis je rentre par l’avion de l’après-midi. Enfin libre ! Je file directement à la plage. Quand j’y arrive, j’ai un choc, elle est totalement vide. Où est passé tout le monde ? Même si c’est la fin de la saison, il y a encore habituellement une cinquantaine de personnes sur cette plage. Non, il n’y a qu’un homme, assis face à la mer. A bien y réfléchir, toute la scène a un côté biblique. Je m’installe un peu en retrait. Une femme passe, vendant des fruits. Il lui achète un ananas, se tourna alors pour regarder autour de lui et, me voyant, m’invite à le partager avec lui. Nous passerons les 10 jours qu’il me reste à Goa ensemble. Il est prévenant, attentif, un brin romantique. Alors qu’un soir, en rentrant à l’hôtel nous longeons un terrain en friche, nous passons près d’un banyan, l’arbre « magique », il me regarde et me dit « nous n’oublierons jamais cet instant ». Je n’ai, du coup, jamais oublié. Comme c’était bon d’être bien traitée.

    Et un matin, alors que je rentrais en mobylette là où je logeais normalement, toute joyeuse, toute heureuse, la vie offrait de si bons moments… j’ai soudain eu une drôle de sensation, comme de passer à travers une membrane vibratoire. C’est la meilleure façon que j’ai trouvée de décrire ce que j’ai ressenti. Et j’ai eu l’impression d’ouvrir les yeux sur un paysage plus lumineux, plus coloré, plus vibrant de vie. Et à partir de là et pendant un certain temps, tout ce qui posait problème dans ma vie de tous les jours semblait trouver sa solution sans que j’aie à intervenir. C’était incroyable, époustouflant… très déstabilisant. Je ne savais pas et je ne comprenais pas. Je pouvais juste observer et essayer de donner un sens à tout ça.

    Bref, arriva ce qui devait arriver à quelqu’un qui n’est pas préparé, ce fut la chute.

    Depuis, je remonte, étape par étape, espérant retrouver un jour en moi le plaisir de Vivre. Oui, je vais de mieux en mieux.

  • L'ange

    Je devais avoir 6 ou 7 ans. Tous les dimanches, une famille de cultivateurs habitant plus loin sur la route passait devant chez nous pour aller à la messe et m’attendait pour m’y emmener. Mes parents ne mettaient pas les pieds à l’église aussi se faisaient-ils un devoir d’assurer mon éducation religieuse. J’aimais assez bien la messe en latin, ça donnait une impression d’incantation magique, mais la plupart du temps, je m’ennuyais sec et alors, je me perdais dans l’admiration des vitraux représentant les 14 stations du chemin de croix (si mes souvenirs sont exacts) dans de si belles couleurs lumineuses.

    Pour la période de Noël, la crèche était installée et, au lieu qu’un enfant de chœur passe dans les rangs pour la quête, nous défilions devant celle-ci pour y déposer notre obole. C’était mon premier Noël dans l’église d’Aix-Noulette, je me suis levée et j’ai suivi le mouvement. J’étais juste derrière une dame imposante dans un manteau bleu et je ne voyais que ce manteau. Quand mon tour arriva, je ne savais pas quoi faire de ma pièce et la dame derrière moi m’a indiqué la statue d’un ange portant un sac installée sur le côté et me dit de la mettre dans le sac, ce que je fis. Et là, l’improbable. L’ange me remercia d’un signe de tête !!! Le choc me repoussa en arrière et je tombais assise sur un banc. Et alors que je tentais d’assimiler ce que je venais de voir, j’observais la file de gens qui continuait à avancer, aveugle à ce qui venait de se passer. Et, n’étant pas très sûre de ce que je venais de voir, je finis par reprendre place dans la file.

    J’avais hâte d’en parler avec ma grand-mère et, rentrée à la maison, je lui dis « Mémé, je crois que j’ai vu un miracle ». Je n’étais pas trop sûre. Bien sûr, j’en avais entendu parler, mais comme quelquechose dont on parle sans l’avoir jamais vu, alors pourquoi là, maintenant, devant moi ? Ma grand-mère, avec un petit sourire, me dit « ah bon ? Raconte ! » et je lui dis ce que j’avais vu. Ma grand-mère se met à rire et m’explique alors les automates et nous en rions ensemble. Ah ouf ! Ce n’est que ça…

    Il n’empêche que l’après-midi, je suis retournée à l’église avec ma tirelire et, à chaque fois que l’ange me disait merci, j’étais toujours aussi émue.

    Depuis, j’essaie d’être à la hauteur, toujours, du merci de cet ange.

  • Sahara

    Ma première grande aventure, enfin… Oh comme je l’espérais, comme je l’attendais !

    Ce jour-là, après une prise de bec mémorable avec une collègue et sachant que son ancienneté dans la boite ne jouait pas en ma faveur, je quittai mon job et pris la route de la maison. La soirée était encore jeune lorsque j’arrivais à Arras et je décidais d’aller passer un moment en ville. J’y croisais une connaissance qui, je le savais, allait régulièrement en Afrique par la route, vendant son véhicule une fois arrivé là-bas et rentrant en avion. Son équipe cherchait un chauffeur supplémentaire. Nous prîmes rendez-vous pour le lendemain et je rentrais enfin chez moi. J’étais presque dans un état second, tant les choses semblaient se dérouler comme je l’espérais. C’était incroyable.

    L’Afrique, enfin j’allais la découvrir. Pas dans un circuit touristique, où tout est plus ou moins orchestré et facilité, non, c’est la vraie Afrique que l’on me promettait, à vivre chez l’habitant, dans leur vie de tous les jours, manger ensemble, apprenant de leur façon de vivre… Et puis, s’empoigner avec le désert, s’emplir de ce paysage à la fois sensuel et dramatique, de ce silence, de ce sentiment d’absolu… mais lutter, lutter quand il t’agrippe, implacable, révélant tes plus intimes faiblesses, te laissant nu face à toi-même…

    Nous partîmes 15 jours plus tard, c’était en janvier.

    Je conduisais une 404. Oui, oui, c’était déjà une vieille voiture en 1980 !

    La première journée fait partie des plus longues de mon existence. Arras – Dijon à 80 km/h sur l’autoroute, sans radio… après une nuit dont la majeure partie fut passée à fêter ma nouvelle aventure. Malgré mes 19 ans, oh que ce fut dur ! Cependant, quel clin d’œil m’adressa la tv ce soir là, le film proposé s‘intitulait… « L’aventure, c’est l’aventure »… ça ne s’invente pas !

    Le lendemain soir, nous dormions dans le Nord de l’Espagne, puis nous nous arrêtâmes à Benidorm pour quelques jours, chez des amis du « chef de convoi », afin de faire un échange de chauffeurs, l’un d’entre nous devant rentrer en France pour je ne sais plus quelle raison. Je me souviens que, lorsque le nouveau chauffeur est arrivé et est entré dans la pièce où nous nous trouvions, le chien de la maison s’est mis à grogner, son poil s’est hérissé et il a reculé pour rejoindre son maître… Toujours faire confiance à l’instinct des animaux…

    Nous voici donc repartis. Nous arrivons à Alicante mais il faut attendre plusieurs jours pour avoir des places sur le bateau pour Alger. Nous partons donc pour Almeria. Ce sera Almeria-Melilla. Quelle drôle de ville que Melilla, à cette époque. Un port-franc, plein d’une faune exotique, où il ne faut pas quitter la voiture des yeux si on ne veut pas la retrouver pillée. Ambiance bizarre, envie de se retourner pour voir si on n’est pas suivi, envie de partir rapidement.

    Direction Oujda, puis la frontière avec l’Algérie.

    A l’époque, tout convoi est suspect, nous nous séparons pour la passer.

    Les voitures sont chargées à bloc. Pièces de moteur, huile de moteur, outils, jerricans, packs d’eau, boites de conserve. Ils fouillent tout, ça prend du temps, le suivant arrive, les douaniers suspectent… « nous nous connaissons ? Non ». C’est très impressionnant, on repense à ces films qu’on a vus, certains où ils s’en sortent bien, d’autres où les imbroglios s’enchaînent. Conscience qu’il n’y a pas intérêt à plaisanter.

    Ils nous laissent finalement passer et nous nous rejoignons tous quelques kilomètres plus loin. Soulagement. Tlemcen, puis direction Béchar. Nous dormons pour la première fois sur le bord de la route, dans les voitures. Certes, la route goudronnée est toute proche, la civilisation n’est pas loin mais… nous sortons « des sentiers battus ».

    A Béchar, nous devons préparer les voitures pour le désert. Décalaminer le système de refroidissement, renforcer les passages de roue, faire le plein d’essence et remplir les jerricans, en échange de pièces de moteur. Nous sommes hébergés par Mohammed, le garagiste qui nous prête un appartement. Nous y resterons plusieurs jours et j’aurai l’occasion d’aller manger chez eux, dans une pièce à part des hommes et finalement toute seule, étant l’invitée… Je goûte pour la première fois aux nèfles, ces fruits que l’on doit manger gâtés. Je n’en ai jamais remangé depuis. Je me souviens de cette « fête » où nous avons été conviés, avec un groupe de musiciens et des gens entrant en transe. J’étais attirée par la musique envoûtante,  je me suis sentie perdre le contrôle, senti la tête me tourner et j’ai préféré quitter la pièce…

    A Béchar, nous croisons deux autres Français, originaires de Toulon qui se joignent à nous. L’un d’entre eux faillit nous apporter les pires ennuis, accusant un policier à un check-point sur la route de lui avoir volé ses lunettes de soleil. Il les avait, en fait, oubliées dans la voiture… Je ne me souviens plus comment nous nous en sommes sortis, certainement en le tenant à l’écart et usant de beaucoup de diplomatie… Je ne me souviens pas que le bakchich ait fonctionné dans ce pays, au contraire.

    Adrar, où nous nous sommes arrêtés pour manger dans un fabuleux hôtel, qui semblait poussé là par hasard. La fraîcheur à l’intérieur, le calme, une beauté simple et dépouillée, une oasis de confort.

    Reggane… fin de la route goudronnée. Nous nous enregistrons au bureau de police avant de commencer notre traversée du désert. Nous croisons un couple, en 404 bâchée, qui rejoint le convoi. Je crois qu’ils ne demandaient que ça et c’était tant mieux pour eux. Ils s’étaient rendus compte que, mal préparé, on peut y laisser la vie.

    Enfin, nous allons attaquer le désert.

    Donc le voici, ce Sahara, dans toute son immensité, je le contemple, debout, les pieds symboliquement posés à la limite de cette route, derniers centimètres avant l’inconnu.

    Il est décidé que je serai en seconde position. Ah, galanterie, merci Messieurs. J’ai 19 ans, un an de permis et j’attaque le désert. Je fais 1 km et je m’ensable jusqu’aux essieux. Derrière, ils me suivent de trop près et, à leur tour, s’ensablent tous. Je me fais incendier, engueuler de toutes parts... Je suis furieuse. Je regarde bien comment ils manœuvrent les voitures pour les sortir de là. Je décide que ça ne m’arrivera plus. Ça ne m’est plus arrivé.

    Enfin, enfin, enfin, véritable première nuit dans le vrai désert. Nous nous installons en campement, à quelque distance de la piste. Nous soulevons les capots des voitures, posons sur le radiateur la boite de conserve à réchauffer. C’est ainsi que nous mangerons durant tout le trajet.

    Arrive un camion, qui s’arrête près de nous, le moteur continuant à tourner, je ne sais plus pour quelle raison. Les hommes descendent et préparent le thé à la menthe qu’ils partagent avec nous. Un deuxième camion se joint au premier, un deuxième moteur se met à ronronner… Et bien si, il y en a eu un troisième. Moi qui imaginais solitude, calme et contemplation… On se retrouve à une bonne vingtaine ! Tout ce petit monde finit par reprendre la route, roulant de nuit, à la fraîche. Voilà, ma première nuit dans le désert ne fut pas du tout ce à quoi je m’attendais.

    Le lendemain matin, debout aux aurores. Je m’éloigne, petite toilette, au gant, avec le minimum d’eau. Pendant la nuit, nous avons laissé dehors quelques bouteilles d’eau entourées d’un linge humide, nous aurons de l’eau fraîche pour la matinée. Puis, pour l’après-midi, nous accrocherons ce système au rétroviseur, le vent rafraichissant la bouteille.

    Armée de mes nouvelles connaissances en matière de conduite sur sable, je suis prête. Nous reprenons la piste.

    Ou plutôt, nous roulons à quelque distance, les voitures ne pouvant résister à la tôle ondulée, cette forme que prend le sable lorsque beaucoup de véhicules passent au même endroit. Nous devons en prendre soin, ces voitures doivent nous mener jusqu’au bout, à Cotonou, au Bénin.

    Nous passons les bidons qui jalonnent la piste, marquant les kilomètres.

    Nous sommes au kilomètre 400 lorsque l’un des derniers véhicules s’ensable.

    La conduite en convoi nécessite de régler son avance sur celui qui suit notre véhicule. Si l’un s’arrête, le précédent, ne le voyant plus dans le rétroviseur s’arrête à son tour. Le chef de convoi fait alors demi-tour pour aller porter de l’aide à celui en difficulté.

    Alors, c’est maintenant mon moment, mon moment à moi, seule avec le désert. Pourquoi je le voulais à tout prix, je ne sais pas, je trouvais cela logique, si on va dans le désert, c’est pour être face à lui, non ?

    Voilà, je suis toute seule, il n’y a plus aucun repère autre que moi-même et la voiture et c’est très, très impressionnant. Je fais un tour complet sur moi même, j’imagine ce petit point que je représente, en plein milieu de cette grande tache jaune sur une carte de notre planète. Seule dans ce grand désert, plantée au milieu de nulle part…

    Le moment passe, les autres finissent par me rejoindre et nous repartons. Nous passons Bidon 5, ancienne guérite de la Légion Etrangère. Il fallait vraiment être un légionnaire pour vivre là-dedans... Nous arrivons à Borj-Moktar, poste frontière avec le Mali. Nous pénétrons dans le poste pour nous enregistrer. Nous avons terminé la partie algérienne du Sahara. Au mur du poste, des photographies. Un premier panneau montre des photos d’identité et est intitulé « aidez-nous à les retrouver », le second, des photos de cadavres et la mention « aidez-nous à les identifier ». Nous avons 500 km de désert derrière nous et autant devant. Si nous l’avions oublié, le réveil est brutal, le désert n’est pas à être pris à la légère. L’ambiance dans le groupe en prend un coup.

    Machin (plus aucun souvenir de son prénom), si si, celui que le chien n’aimait pas, prétexte des problèmes de moteur pour se mettre en seconde position dans le convoi. Je le suspecte d’être vert de trouille et d’inventer cette histoire.

    Direction Tessalit, au Mali.

    Soudain, je ne vois plus, dans mon rétroviseur, le véhicule qui me suit. Je m’arrête et attends le retour des deux premiers. J’attends. Et j’attends… Et l’attente commence à être inquiétante, toujours personne… Les minutes se font lourdes et il s’en passe une bonne quinzaine avant qu’enfin, je vois signe du véhicule de tête. Ce lâche de Machin ne s’était pas arrêté et avait continué à suivre le premier, sans se soucier de nous. Sans commentaire.

    Vers Tessalit, le désert, déjà, change de visage, il devient rocailleux, les voitures souffrent. Je me sens un peu nostalgique, j’ai l’impression de laisser quelque chose derrière moi… Nous suivons une piste, direction Gao. Nous tournons en rond presque toute la journée. Un peu angoissant quand même quand on commence à reconnaître un endroit, puis un autre pour y être déjà passé. Le chef de convoi nous rassure, il sait quelle direction prendre mais n’arrive pas à passer une barrière rocailleuse. Nous finissons par faire demi-tour et passons la nuit en campement aux abords de Tessalit.

    Le lendemain matin, nous reprenons la piste de Gao, et cette fois, c’est la bonne.