20230127- Mysticisme en Inde

Et ainsi, un jour, je suis partie en Inde.

Maintenant, ce que je vais décrire ici est uniquement du ressenti, des instants qui m’ont fortement marquée sans que j’aie particulièrement conscience de leur importance sur le moment. Juste des instants que je n’ai pu oublier et qui, les uns ajustés aux autres, forment une trame qui m’a semblée cohérente, après des années d’analyse.

Après 3 semaines passées à Goa, le temps de se remettre du décalage horaire, de décompresser du mode de vie européen et de se mettre au rythme de vie goanais, nous sommes partis en expédition, direction le sud de l’Inde, en moto.

Je me souviens du départ, de cette route sinueuse qui traversait une immensité boisée, de cette pluie de fin de mousson qui nous avait trempés en un instant et de cette chanson idiote qui ne m’a plus quittée de tout le voyage « l’orage a fait tomber sur moi toute la pluie du ciel » (Stone et Charden, je crois ?)

Direction Hubli, puis Bangalore, Ooty, Mysore…

Je me souviens d’un petit hôtel, le seul que nous ayons pu trouver ce soir-là, douche et toilettes communes, draps reprisés et la visite d’un cafard gros comme mon pouce, doté d’un restaurant qui ne servait que le thali… et le patron qui, à la fermeture, nous invite à rentrer les motos dans le restaurant afin qu’elles soient à l’abri.

Un hôtel où nous avons la surprise de trouver au matin nos motos nettoyées et rutilantes. Il faut dire qu’elles en avaient bien besoin !

Patrick, le frère de JP, avait décidé de prendre un raccourci. Très vite, la route s’était transformée en chemin de terre passablement détrempé par la queue de mousson. Et, bien sûr, le soir tombe. Je finis par caler dans une flaque et je m’aperçois que la pédale de kick a fini sa carrière quelquepart derrière moi. Après de nombreuses tentatives, on finit, avec JP et son passager qui faisaient office de moto-balai, par la redémarrer. Les deux motos de tête ne nous ont pas attendus, mais bon, tout va bien, on va en voir le bout, de ce chemin… Après tout, on avait évité un char à buffles non éclairé, on avait dérapé souvent mais sans tomber, sûrement, c’était bon, là, non ? Et bien non. Deux gros phares qui arrivent en face. Quoi ? Un bus sur ce chemin bordé de rizières en contrebas ? Il n’y a pas la place pour tous les deux. Je sais que le bus ne s’arrêtera pas. Je n’y vois rien, mon phare éclaire mal, je dois me jeter sur le côté avec la moto, sans savoir si je ne vais pas tomber dans une rizière. A Dieu va. Il y a une petite sente, assez pour les pneus de la moto, je croise le bus, je reviens sur le chemin, je suis passée, derrière, JP a suivi. Mon cœur a chanté la vie jusqu’à l’arrivée à l’hôtel. Et donc, le lendemain, nos motos, qui faisaient tache dans la jolie cour pimpante de l’hôtel, avaient été nettoyées.

Et puis, Mysore, la capitale de la soie. Ce soir là, nous nous permettrons une nuit au Lalit Mahal Palace, l’ancien palais d’été des Maharadjas de Mysore, transformé en hôtel, à quelques kilomètres de la ville.

Dans cette même direction se trouve Chamundi Hill.

Il est dit qu’une déesse occupe le somment de cette colline, une déesse si puissante que l’Hindouisme fut contraint de l’intégrer dans son panthéon. Cela, je l’ai lu bien plus tard, comme j’ai lu, encore plus tard, qu’il était habituel, dans les temps anciens, de vénérer des dieux ou des déesses qui résidaient au sommet de collines. Je ne pouvais donc croire en quelquechose que j’ignorais.

JP décida d’aller visiter le temple à son sommet le soir même.

Je me souviens de ce plaisir que j’éprouvais, la douceur de la nuit après une journée chaude, les effluves de la terre, la majesté des plantes qui bordaient la route grimpant jusqu’au temple et même le ronronnement puissant et rassurant de la Royal Enfield de JP… n’avoir pas assez de ses cinq sens pour tout absorber. Et puis… la joie d’avoir échappé au moule que l’on veut nous imposer. J’étais libre, sillonnant les routes du sud de l’Inde, en accord avec moi-même. Je me sentais vivante, oh si vivante !

Je sais comment j’étais à l’époque et je ne me préoccupais pas de pensées dérangeantes.

Aussi, celle qui s’insinua en moi me prit par surprise. Qu’est qui manquait à mon bonheur ? Quoi ? Comment ? Mais, n’étais-je pas parfaitement heureuse, à ce moment-là, à cet endroit-là ? Mais mon cœur soupira. Si seulement j’étais avec quelqu’un que je pouvais aimer… alors oui, j’aurais connu le Nirvâna à ce moment-là. JP était bien trop infantile pour être celui-là. Le moment passa. Nous arrivâmes au temple, un prêtre était devant l’entrée, « semblant nous attendre » remarqua JP, qui, d’une façon biaisée, était un mystique. Bien sûr, qu’il nous attendait, avec le bruit de la moto sur cette petite route déserte à cette heure, on nous entendait arriver de loin. Voilà, moi, ce que je pensais, je crois que dans le mysticisme comme dans tout, il faut savoir rester rationnel, non ?

Voilà, rien de plus, à part cette forte impression qu’il y avait eu en moi une pensée extérieure à moi.

Le périple se poursuivit, retour par la côte jusqu’à Goa. Et la vie continua. Et les années passèrent.

Je menais une vie très sage à Goa, de par la jalousie maladive de JP. Mais finalement, cela me convenait. J’aimais me lever tôt, prendre la moto pour aller chercher le petit déjeuner, admirer le soleil se lever sur les rizières et la brume s’étirer paresseusement avant de disparaître sous ses rayons. Les buffles que l’on conduisait aux champs, les charrettes, les écolières en uniforme, et le sugar cane juice agrémenté de lime et de gingembre que je buvais à la petite cahute du coin, parce que « c’est bon pour la santé ».

Et tout cela baignait dans la lumière dorée du petit matin.

Quelques années plus tard donc, la saison est bien avancée, Goa commence à se vider. JP part avant moi, je l’accompagne à Bombay (oui, c’est encore Bombay à l’époque) puis je rentre par l’avion de l’après-midi. Enfin libre ! Je file directement à la plage. Quand j’y arrive, j’ai un choc, elle est totalement vide. Où est passé tout le monde ? Même si c’est la fin de la saison, il y a encore habituellement une cinquantaine de personnes sur cette plage. Non, il n’y a qu’un homme, assis face à la mer. A bien y réfléchir, toute la scène a un côté biblique. Je m’installe un peu en retrait. Une femme passe, vendant des fruits. Il lui achète un ananas, se tourna alors pour regarder autour de lui et, me voyant, m’invite à le partager avec lui. Nous passerons les 10 jours qu’il me reste à Goa ensemble. Il est prévenant, attentif, un brin romantique. Alors qu’un soir, en rentrant à l’hôtel nous longeons un terrain en friche, nous passons près d’un banyan, l’arbre « magique », il me regarde et me dit « nous n’oublierons jamais cet instant ». Je n’ai, du coup, jamais oublié. Comme c’était bon d’être bien traitée.

Et un matin, alors que je rentrais en mobylette là où je logeais normalement, toute joyeuse, toute heureuse, la vie offrait de si bons moments… j’ai soudain eu une drôle de sensation, comme de passer à travers une membrane vibratoire. C’est la meilleure façon que j’ai trouvée de décrire ce que j’ai ressenti. Et j’ai eu l’impression d’ouvrir les yeux sur un paysage plus lumineux, plus coloré, plus vibrant de vie. Et à partir de là et pendant un certain temps, tout ce qui posait problème dans ma vie de tous les jours semblait trouver sa solution sans que j’aie à intervenir. C’était incroyable, époustouflant… très déstabilisant. Je ne savais pas et je ne comprenais pas. Je pouvais juste observer et essayer de donner un sens à tout ça.

Bref, arriva ce qui devait arriver à quelqu’un qui n’est pas préparé, ce fut la chute.

Depuis, je remonte, étape par étape, espérant retrouver un jour en moi le plaisir de Vivre. Oui, je vais de mieux en mieux.

 
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